Quelques réflexions équestres tirées des Œuvres Complètes de Nuno Oliveira

Quelques morceaux choisis de Nuno Oliveira tiré des Œuvres complètes.

Les aides et leur emploi

Le secret, en équitation, c’est d’agir peu et à propos.
Plus on en fait, moins ça va.
Moins on en fait, mieux ça va.
Sentez votre cheval, ne le montez pas comme une bicyclette, avec des fesses insensibles.
Je ne veux pas voir des cavaliers qui bougent. Travaillez par la pensée.
Il est bon parfois de monter les yeux fermés.

Équitation, dressage et tact

Le drame de l’équitation, c’est que, malgré tout le savoir des cavaliers, le cheval a des réflexes plus rapides que l’homme.
A cheval, il ne faut pas cesser d’observer.
L’équitation n’est pas une science précise. Il faut « sentir » et non avoir un « système » dans la tête.
Il n’y a pas de trucs en équitation. Il y a simplement des cavaliers qui ont plus ou moins de tact équestre et… les autres.
Il y a deux choses en équitation : la technique et l’âme.
L’équitation, ce n’est pas la recherche du succès en public, et l’autosatisfaction après quelques applaudissements, ce n’est pas non plus plaire à tout prix à un jury de concours, c’est le dialogue en tête-à-tête avec le cheval, c’est la recherche de l’entente et de la perfection.
En équitation, il ne peut y avoir de véritable méthode, car chaque cheval est un cas.
Le dressage, ce n’est pas exécuter des airs difficiles, mais rendre le cheval plus docile, plus flexible et lui donner un meilleur équilibre.
Le dressage, c’est la recherche de la rondeur.
Le dressage, c’est le perfectionnement des trois allures naturelles du cheval.
L’art équestre, c’est la poésie de tout cela.
Un cheval dressé est un cheval souple, agréable à monter, heureux et non un cheval qui fait des gesticulations.
La technique peut mener à un certain niveau, mais au-delà il faut l’adhésion psychologique du cheval.
L’art équestre est fait d’une quantité infinie de petits détails et du sentiment du cavalier.
L’art équestre commence par la perfection des choses simples.
L’art équestre, c’est l’art pour le cavalier de rester tranquille et de garder son cheval droit.
Délaissez un peu la technique pour monter avec votre cœur.
Il faut sentir et aller jusqu’à l’émotion.

Étude de la conformation de chaque cheval, de sa façon de se mouvoir, et de voir où il doit être sanglé

On croit faussement que tous les chevaux doivent être sanglés au même endroit et avec le même degrés de serrage de sangle. Or, il faut voir justement si la selle sur tel cheval n’est pas trop sur les épaules, ce qui pourrait gêner les mouvements de ses antérieurs et mettre le cavalier trop sur l’avant-main.
Pour d’autres chevaux, il faut voir si la selle n’est pas trop sur son rein faisant que le cavalier serait trop en arrière et ferait trop de poids là où il ne faudrait pas.

Il convient de vérifier quelle est la selle qui convient le mieux à chaque cheval. Voir si sa selle ne s’appuie pas trop sur le garrot ou ne le serre pas trop.

L’équitation française, l’équitation d’expression latine

Étant donné leur nombre de cavaliers de dressage et de leurs chevaux, ce sont les Allemands qui imposent actuellement leurs critères de modèles et allures et aussi d’équitation. C’est donc sur ces critères que sont jugées les compétitions de dressage. Il me semble difficile, pour le moment, de faire changer l’optique des juges de dressage, l’influence de l’équitation germanique et des pays nordiques qui la copient étant très forte.

L’équitation française, équitation d’expression latine, est caractérisée par la légèreté et la grâce d’un cheval parfaitement relaxé donnant l’impression de se manier tout seul, sans les aides de son cavalier. Tâchons, nous les Latins, de conserver cette légèreté et cette grâce dans le travail de nos chevaux, travail qui pourra être qualifié d’art équestre.

Aimer

Et pour clore cette annexe écrite à peu près trente ans après le reste du texte, trente ans de méditations sur le dos d’innombrables chevaux, je demande aux cavaliers qui me lisent et qui dressent leurs chevaux de regarder leur monture lorsqu’ils mettent pied à terre après une séance de travail, de contempler son œil et de faire un examen de conscience pour se demander s’ils ont bien agi envers cet extraordinaire être vivant, ce compagnon adorable : le cheval.

Conférence au centre militaire d’éducation physique et d’équitation de Mafra – 1981

[…]
Mesdames et messieurs, nous sommes ici pour rendre hommage à ce cheval. L’équitation est l’art d’utiliser le cheval et de lui enseigner à être le collaborateur de l’homme.
Et je crois que les grands écrits sur l’équitation, ceux qui firent en leur temps, furent ceux qui conseillaient des méthodes rationnelles, sans brutalité, et non celles qui employaient la force ou la résistance.

Le cheval fut évidemment, à travers les siècles, sélectionné selon les modes ou selon les finalités de son emploi. Mais son cerveau reste un mystère.
L’art équestre est la préoccupation de quelques hommes d’esprit qui ont cherché à utiliser le cheval sans violence et en respectant son mental.
Je vais commencer par citer le Grec Xénophon : « Le cheval prendra mieux le mors si chaque fois qu’il l’accepte, il lui survient quelque bon traitement. » Déjà 400 avant Jésus-Christ on pensant à récompenser et à pratiquer ce que beaucoup plus tard on appelé pompeusement la « descente de main ».
[…]

Je vous demande pardon de n’avoir parlé jusqu’à maintenant que du passé. Alors, mes chers amis, plongeons-nous désormais dans le monde équestre d’aujourd’hui. Partout, la Haute Ecole est appelée « dressage », ce qui, en portugais signifie « enseignement ». Ce terme de dressage est donc incorrect puisque tout cheval, quelle que soit la discipline choisie doit recevoir un enseignement : un enseignement pour sauter, un enseignement pour évoluer dans l’arène, un enseignement pour tracter une charrette ou tirer l’araire. Mais ainsi vont les modes : au XVIIIè siècle, on portait habit et perruque ; maintenant nous portons les chemises à manches courtes et à col ouvert et je crois qu’on commence même à aller dîner chez les autres dans cet accoutrement. De même au XVIIIè siècle, on montait les chevaux dressés avec les rênes dans la main gauche, la main droite tenant platoniquement une gaule de façon gracieuse. Aujourd’hui, on tient les rênes dans chaque main.

Nous devons à Baucher et à son amour pour la Haute Ecole, ce qui régit actuellement l’équitation moderne. Elle est influencée par l’apport du pur-sang qui a envahi l’Europe comme cheval de sport et de chasse. Il a des allures amples et rasantes que l’on tend à exploiter. Pourtant, le compte d’Aure disait déjà dans sont traité d’équitation, qu’à Versailles, l’allongement du trot était pernicieux pour le rassembler des chevaux destinés au piaffer et aux sauts d’école. Baucher a su donc adapter aux chevaux modernes tous les grands principes de la Haute Ecole dont il avait pu observer la pratique derrière les grilles de Versailles par les d’Abzac et d’autres maîtres qui évoluaient au tricorne sur des chevaux navarins, des espagnols, bref des chevaux arrondis. C’est à lui que nous devons ces merveilleux mots-clés de l’équitation, lorsque, sur son lit de mort, il dit à son cher disciple le général L’Hotte, « toujours comme cela » en lui prenant la main et en l’immobilisant et « jamais comme cela » en la reculant vers sa poitrine.

L’équitation s’est modifée car les chevaux se sont modifiés. Les passages sont devenus plus larges, avec plus de suspension, mais moins d’élévation. Même chose pour le piaffer. On a commencé à pratiquer le trot allongé avec des modèles de chevaux qui s’y prêtaient.

[…]
La tendance actuelle est d’élever et d’utiliser le type standard de chevaux qui s’apparente au cheval allemand avec du sang anglais.
De nos jours, l’équitation de Haute Ecole a cessé d’être un art pour devenir un sport. Un spot d’exécution difficile réclamant des chevaux bien équilibrés naturellement, avec un bon caractère et de grandes actions, des chevaux pas trop fins pour accepter des cavaliers aux aides pas trop fines, utilisant beaucoup de force dans les bras et la ceinture. Cela n’a rien à voir avec la préoccupation d’une bouche aimable et décontractée des auteurs que je vous ai cités. Exécuter un Grand Prix de dressage est aujourd’hui une tâche difficile. Mais la précision d’une machine s’est substituée à l’aspect artistique. C’est l’esprit de l’époque qui domine et par-dessus tout l’esprit de discipline des Allemands et l’influence des chevaux, qui, en majorité, sont lourds et puissants. Ils obtiennent les premières places grâce à leur régularité et à une grande rigueur de travail. Pour gagner, il est surtout nécessaire de dessiner des figures géométriquement parfaites, à l’instant précis et dans le temps imparti. C’est très difficile, mais l’expression artistique du cheval s’est perdue.

Il y a quelques temps, lors de mes passages à Saumur, l’Ecuyer en chef du Cadre noir a fait projeter divers films que nous avons visionnés avec les écuyers. Le premier montrait le colonel Lesage sur l’anglo-arabe Taine, aux Jeux Olympiques de Los Angeles : les aides étaient impeccables et discrètes, la tension des rênes beaucoup plus légère que celle utilisée actuellement. Le deuxième était un film de Filatov à Rome : il y avait déjà un peu moins de finesse dans les aides mais quand même beaucoup plus que chez les cavaliers d’aujourd’hui. Le troisième était le film d’épreuves olympiques plus récentes : les aides et la tension des rênes étaient beaucoup plus visibles, infiniment plus importantes. La reprise se déroulait à plus grande vitesse, les airs classiques étaient moins beaux, avec moins d’expression artistique. C’est la mode. Le dressage est un sport. Mais ce qui est très grave, c’est ce que je vais vous raconter maintenant. Dans ce dernier film, on voyait le cheval monté par sa cavalière, sortir des écuries pour aller sur la piste d’entraînement. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant le cheval faire un tête-à-queue terrible et malgré les rênes d’ouverture et les efforts de sa cavalière, fuir vers les écuries. Ensuite, on voyait le cheval revenir, toujours monté par sa cavalière, mais avec à ses côtés son entraîneur privé, une gaule à la main… J’admire la cadence de ce cheval dans les appuyers sur la poste de vingt mètres par soixante, mais cela me fait un drôle d’effet de savoir que ce champion olympique n’est pas maîtrisé hors du rectangle ! Cela m’a rendu confus d’apprendre ce qu’est le champion mondial et olympique de dressage, terme qui s’est substitué à la Haute Ecole de Monsieur de la Guérinière qui écrivit : « La grâce est un si bel ornement de l’art. » On peut se demander s’il y a aujourd’hui beaucoup de connaisseurs dans le monde du dressage.
[…]

Il m’a été donné de monter des chevaux de dressage partout dans le monde et aussi les chevaux d’obstacle de grands cavaliers internationaux. Ce qui est curieux, c’est que ces derniers, par nécessité d’asseoir leurs chevaux dans les tournants, obtiennent un rassembler et une légèreté que les premiers ont perdu, ces fameux cavaliers de dressage qui se considèrent comme les meilleurs cavaliers du monde. Ils sont certainement très inférieurs à un Freddie Knie. Leur travail est bien fait mais dans un rectangle de 20 par 60 mètres, pas dans une piste ronde et difficile de douze ou treize mètres.
Mon propos n’est pas de détruire les compétitions de dressage. Ce que je déplore, c’est le mode de jugement et la conception de l’exécution des airs classiques, qui n’a rien avoir avec l’art équestre. Je ne crois pas que l’on puisse taxer d’art l’absence de grâce. Observez le passage et le piaffer la majorité de ces chevaux : cela cesse d’être un exercice harmonieux pour devenir un spectacle grotesque. Remarquez dans les pirouettes, comme les chevaux lèvent et baissent leur encolure. Pourquoi ? Parce que, en force et en compression, aucun de ces airs ne peut être effectué correctement.
[…]

A l’école espagnole de Vienne, dote de chevaux descendants d’élevages ibériques, mais croisés avec des juments du nord de l’Europe (danoises), le manège construit par Fischer Von Erlach est situé dans un cadre merveilleux. L’équitation est plus légère et subtile qu’en Allemagne. La perfection dans l’exécution des exercices est le fait de chevaux qui ont de nombreux années de travail, parfois une ou deux dizaines d’années. Il n’en demeure pas moins qu’on voit dans de nombreux cas des chevaux qui travaillent complètement contractés, avec l’emploi de force et beaucoup d’éperon. Ils ont des allures beaucoup plus courtes que les chevaux allemands et sont critiqués pour cela. Cependant, les airs relevés sont bien faits sur les hanches. D’une certaine manière, les airs pratiqués à Saumur sont moins beaux mais d’un autre côté, ils sont plus difficiles à réaliser. Les écuyers français du début du siècle, notamment le général L’Hotte, montrèrent que l’on pouvait réaliser des sauts d’école sans un rassembler parfait, sans que les chevaux soient très assis sur les hanches. Ils créèrent ainsi des sauts qui sont pratiqués dans un équilibre et un rassembler horizontal.
Mesdames et Messieurs, je crois vous avoir déjà trop ennuyés.
J’aimerais terminer en vous demandant de rendre hommage au cheval, ce merveilleux compagnon, et de chercher chaque fois que vous le montez à le faire avec une âme d’artiste. L’artiste est celui qui sait aimer.

Je vais vous montrer le film de quelques chevaux que j’ai travaillés durant ma carrière déjà longue. Chevaux à travers lesquels j’ai cherché avec anxiété, légèreté et décontraction. Mais avant, afin de contrebalancer la façon actuelle d’enseigner aux élèves, permettez moi de citer Tite Live : « Vous rendrez les chevaux plus énergiques si vous leur enlevez le mors pour les lancer sur l’ennemi : on a rapporté que les cavaliers romains ont souvent eu à se louer de cette stratégie. Une fois le frein enlevé, les chevaux se mettaient à courir dans tous les sens en provoquant un énorme carnage chez l’ennemi dont sous les javelots avaient été brisés. »
Ne retirons pas le mors, mais que nos mains fonctionnent délicatement pour que le cheval comprenne son cavalier et travaille décontracté, de bon gré et non comme un esclave.
Merci beaucoup.