En 2007, s’est déroulé un colloque à l’ENE très intéressant, dont voici le titre :
La vérité sortirait-elle de la bouche des chevaux ?
Mobilité et décontraction de la mâchoire en équitation – Leurs incidences sur la locomotion du cheval, son bien-être et son emploi.
Xe Colloque de l’École Nationale d’Équitation à Saumur, le 16 juin 2007.
Sous la direction de Patrice Franchet d’Espèrey en partenariat avec Laetitia Bataille.
Compte-rendu écrit par Eva Van Avermaet, corrigé par DocMimie.
Liste des thèmes abordés et des intervenants :
- Thierry Fuss : Mobilité et anatomie de la mâchoire.
- Jean Servantie : Cession de mâchoire, relation avec l’ensemble du corps, approche ostéopathique.
- Nelly Valère a conclu en parlant de la démarche expérimentale et de la légitimation, et des perspectives de la recherche scientifique autour de la cession de la mâchoire.
Voici quelques extraits tirés du pdf, et en fin d’article l’avis du Général Decarpentry.
Thierry Fuss : Mobilité et anatomie de la mâchoire.
Extrait du texte : »Thierry Fuss : Docteur vétérinaire, CES d’ophtalmologie vétérinaire, DE d’acupuncture, DE d’ostéopathie. Exercice de la dentisterie depuis 2000, de l’ostéopathie depuis 2002.
La mobilité de la mandibule est importante dans tous les degrés de liberté. Ce sont les muscles masticateurs qui assurent l’essentiel de sa mobilisation. D’autres muscles et structures faciales peuvent influencer ses mouvements mais aussi sa position au travail.Ils relient la mandibule à la langue, l’hyoïde, le sternum. L’hypothèse selon laquelle une décontraction de mâchoire, donc une baisse du tonus des muscles masticateurs se transmet le long des chaînes myo-faciales est envisagée. »
Notes : Les mains, à travers le mors et la mandibule du cheval, peuvent intervenir sur la posture du cheval.L’articulation temporo-mandibulaire est une structure mobile, très musclée, ressemblant à la nôtre. On peut la palper un peu en-dessous de la base de l’oreille. C’est une articulation relativement lâche. On peut palper ses mouvements. Le condyle mandibulaire se déplace vers l’avant, le disque articulaire part aussi vers l’avant. Les muscles masticateurs sont entre autres les masséters (la joue) et les temporaux (les salières). Il y a des liens avec l’hyoïde dans toutes les directions. Entre les mandibules, se trouvent les muscles ptérygoïdiens, qui aident à remonter la mâchoire.
Il y a aussi des muscles pour les mouvements de la langue, qui s’attachent entre autres au processus lingual. Il existe des chaînes musculaires entre le crâne, l’os hyoïde et la mandibule, mais aussi entre le crâne, l’os hyoïde, la mandibule, le sternum et la scapula.La mandibule, au repos, tient par le tonus basal des muscles, et par des ligaments et le vide buccal. Les dents ne sont pas en contact au repos.
Les mouvements de mastication sont en diduction (mouvements latéraux), en antépulsion et rétropulsion. Ces mouvements seront limités voire verrouillés si les dents s’accrochent.
L’élasticité de la commissure des lèvres et les muscles orbiculaires des lèvres compensent la traction par le mors dans la bouche. La langue trouve facilement sa place car elle est très souple, mais peut aussi se rétracter jusqu’à derrière le mors et même passer par-dessus le mors. Quand on parle d’une action ‘au poids des rênes’, elle est sur la langue et la commissure des lèvres. Avec un contact plus sévère, on met la pression sur les barres aussi et même sur les dents si la traction est très forte.
Il y a plusieurs circonstances où la mâchoire est immobile :
- La déglutition s’effectue les dents serrées ;
- Les dents sont serrées en état de stress ou d’inquiétude ;
- Lors des grincements de dents ;
- Comme défense contre la main ;
- Lors d’un encapuchonnement ;
- Lors d’une course, force explosive.
L’immobilité de la mâchoire ne semble pas favorable au geste gymnastique. La décontraction de la mâchoire : avec décontraction, nous voulons dire : le tonus du muscle sans tension inutile.
L’encolure a des muscles dorsaux et ventraux, et des muscles longs (les sterno-céphaliques) et courts (les juxta-vertébraux). Pour ramener la tête, il faut que les muscles ventraux se contractent.
Comment arriver à une décontraction de la mâchoire ? D’un côté, on peut y arriver sans techniques spécifiques, simplement par un travail adapté et juste, par la confiance etc.
De l’autre côté on peut utiliser des techniques spécifiques de conditionnement.
- Phase de mise en tension : ce qui ne veut pas dire contracter le cheval ; on cherche une ouverture de la bouche, nuque et encolure à degrés variables. On crée un inconfort, qui n’est pas douloureux, mais qui donne au cheval l’envie de céder.
- Phase de cession du cheval et du cavalier : le timing est très important ; est-ce que le cavalier doit anticiper la cession ou se synchroniser avec la cession du cheval ? En tout cas, la cession de cavalier doit être une récompense pour le cheval qui a décontracté ses muscles. Le problème si le cavalier doit céder avant, en même temps, ou après le cheval, relève de la thérapie comportementale et conditionnement.
- Phase de restauration de la mobilité : mouvements de la langue, bruits des mors, déglutition. Quels seront les effets bénéfiques d’une mâchoire souple ?
- L’amortissement de mouvements intempestifs du mors ;
- Sensibilité accrue à la main ;
- Meilleure respiration par dégagement des voies respiratoires ;
- Modification de la posture ;
- Effet déstressant ;
- La propagation de cette décontraction vers le reste du corps.
Discussion : Est-ce que c’est bon signe si un cheval salive lors du travail ?
On ne sait pas s’il salive par la simple présence d’un corps étranger dans sa bouche, ou si la salivation est augmentée par l’effort physique (c’est comme ça chez les humains en tout cas). Il devra déglutir la salive. S’il y a beaucoup de salive à la bouche, ça peut indiquer le contraire : qu’il est trop contracté pour déglutir (Rollkür). Donc non, la salive sur la bouche n’est pas un indice fiable d’un bon ou d’un mauvais boulot. Il peut ne pas pouvoir déglutir la salive, ou il peut être tellement concentré sur son travail qu’il n’y pense même pas.
La mastication n’est pas le même mouvement que la CDM.
Nous pouvons déglutir les dents serrées mais aussi les dents desserrées. Les chevaux déglutissent les dents serrées.Pourquoi on ne serre pas la muserolle alors ? Parce que la déglutition dans la CDM vient après les mouvements de la bouche et de la langue.
Jean Servantie : Cession de mâchoire, relation avec l’ensemble du corps, approche ostéopathique.
Extrait du texte : « Jean Servantie : Docteur en médecine vétérinaire. Ostéopathie et acupuncture sur chevaux de courses principalement.
En médecine holistique, l’interconnexion des différentes parties du corps est une évidence, et une action sur l’une d’elles va interagir sur l’ensemble des autres. La sensibilité de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) à la palpation, ressentie comme une résistance dans la main du cavalier du même côté, s’accompagne très souvent d’une dysfonction de l’articulation coxo-fémorale opposée, associée à une dysfonction sacro-iliaque homolatérale, se traduisant par un défaut d’engagement de ce postérieur.
Différentes pathologies peuvent être rencontrées, et plus tôt ces résistances sont perçues, plus tôt on agit et plus vite l’équilibre est retrouvé.
Un fonctionnement harmonieux des mandibules, donc des ATM, donc de l’occiput, va favoriser un fonctionnement harmonieux du sacrum et donc une bonne propulsion, et inversement. Il est essentiel que le cavalier prenne conscience de certaines résistances sans les attribuer automatiquement à une mauvaise volonté du cheval ou à un manque de dressage. La découverte d’une résistance et la compréhension de ses causes pouvant alors se transformer en éléments positifs, permettant de progresser, tout en respectant l’intégrité physique et morale du cheval. »[…]
Nelly Valère a conclu en parlant de la démarche expérimentale et de la légitimation, et des perspectives de la recherche scientifique autour de la cession de la mâchoire.
Extrait du texte :
« Nelly Valère : Les cavaliers pratiquant la décontraction de la mâchoire de leur cheval semblent y trouver un bénéfice. Les approches globales du patient, ostéopathie et acupuncture, permettent de comprendre comment une action locale peut influencer le cheval en entier. Restent à préciser les modifications biomécaniques sur l’ensemble du corps, le niveau et la localisation de la décontraction, les influences de la mandibule sur la posture ainsi que les mécanismes mis en oeuvre dans la décontraction de la bouche elle-même. »
Des études ont été réalisées pour mesurer la tension sur les rênes : elle peut aller de moins d’un kilo à plus de 15 kilos ! Il faut qu’on retrouve l’équitation au poids des rênes.
Un extrait du livre Équitation académique du Général Decarpentry.
La décontraction de la bouche consiste essentiellement en un mouvement de la langue analogue à celui qu’elle exécute pour la déglutition, la mâchoire inférieure ne s’écartant de la supérieure que dans la mesure nécessaire pour permettre le mouvement de langue.
Ce dernier lent et souple, fait sortir les parotides de leur logement provoque une légère salivation, soulève le ou les mors en les entraînant dans son repli vers le fond de la bouche, puis les laisse retomber en reprenant sa place, allongée dans l’auge. C’est en retombant que les mors s’entrechoquent et font entendre leur cliquetis caractéristique.
Tout soulèvement excessif ou trop prolongé, tout mouvement convulsif, toute torsion de la langue est une forme de contraction, de décontraction incomplète. Il est de même pour toute ouverture exagérée, saccadée, spasmodique ou persistante de la bouche. La tête doit rester fixe, sans même esquisser aucun mouvement d’aucune sorte, fût-ce celle du « oui », pendant que la mâchoire inférieure se détache « moelleusement » et seulement dans la faible mesure indispensable au cheval pour mobiliser sa langue.
Tous les anciens écuyers ont signalé, sous une forme ou une autre, la signification et la valeur de l’acte par lequel le cheval « donne sa bouche ».
Quand il a trouvé l’attitude qui convient au travail exigé de lui, quand il sait s’y maintenir sans aucun effort inutile, en pleine possession de son équilibre et avec la parfaite aisance de ses mouvements, quand en un mot cher aux anciens, le cheval « se plaît dans son air », les muscles que ses tentatives d’adaptation aux exigences du cavalier avaient plus ou moins crispés se détendent, et leur détente gagne de proche en proche tout l’appareil musculaire. A la période d’efforts plus ou moins mal orientés pendant laquelle, tout comme l’homme, le cheval avait serré les dents, succède un état d’harmonie dans la dépense des forces, de détente, sous l’influence duquel ses mâchoires se desserrent, et où le cheval, suivant une locution populaire « retrouve sa salive » ; il « goûte son mors » ; il se montre « galant dans sa bouche », disaient encore les anciens.
Ainsi, pour eux, ce que nous appelons la cession de la mâchoire avait la valeur d’une sorte de « preuve par neuf » vérifiant l’exactitude d’une « opération équestre ».