Quatre lettres choisies du livre de 30 ans de notes et correspondances avec Maître Nuno Oliveira de Michel Henriquet.
Je te remercie de ta lettre, du livre de d’Aure et des deux opuscules sur Baucher que j’ai trouvés très intéressants. J’ai demandé à René Bacharach de traduire quelques notes que j’ai écrites et dont je pense pouvoir faire une petite édition avec d’autres pages déjà prêtes.
Demande à Bacharach de te les montrer. C’est mon opinion sur le dressage et un certain nombre de problèmes de dressage.
Elles s’adressent aux cavaliers qui aiment l’équitation académique et apprécient de travailler avec un cheval calme, léger et brillant.
Je trouve que l’idéal en Haute Ecole est d’avoir un cheval bien calme, mais aussi léger et équilibré, afin qu’il donne « tout le brillant que comporte son ensemble ». E. Beudant.
La vraie légèreté ce n’est pas seulement les cessions de mâchoire, elle comporte aussi l’absence de résistances, impulsion, équilibre et brillant.
Aucune de ces conditions ne peut être atteinte sans la légèreté. Malheureusement les dressages que l’on voit aujourd’hui dans les épreuves officielles n’ont plus rien de commun avec l’équitation académique. C’est du mauvais cirque. Ce sont des chevaux routinés qui n’expriment aucune grâce et c’est pour cela que le public perd le goût et l’intérêt pour la haute équitation.
Dans cet art comme tous les arts, il faut faire « beau » sans cela il n’y a pas d’art.
Montrer à un public, même peu versé en équitation, des chevaux souples, légers et brillants, il appréciera immédiatement. Si vous présentez un travail morne, machinal et sans beauté, il n’intéressera que 2 ou 3 personnes, mais pas plus. L’art équestre ne doit pas se perdre. Il appartient à notre culture et civilisation européenne.
La presse anglais a fait de grands étalages sur mes présentations. Je n’aurais pas fait mieux avec un cheval plus âgé et plus dressé, sauf le piaffer de Curioso qui n’est pas extraordinaire, mais supérieur à beaucoup de ceux que l’on voit aux olympiades. Monsieur Smith Jenssen m’a demandé de revenir en Angleterre.
Mon but est de présenter une équitation artistique qui soit exactement ce qu’a été l’équitation française ancienne et je regrette beaucoup qu’elle soit oubliée dans ton pays au profit de la nouvelle équitation allemande. Je regrette aussi que la presse équestre française publie des articles idiots qui desservent l’équitation française.
Je ne suis pas d’accord avec Beudant sur un point, c’est lorsqu’il dit que le ramener n’est pas indispensable au dressage du cheval.
Le cheval n’est parfaitement équilibré que lorsqu’il est ramené.
Ce qu’il faut, ce n’est pas chercher le ramené par des moyens directs et statiques, mais par la gymnastique par le mouvement en avant, par l’épaule en dedans et l’assouplissement du dos par lequel, fatalement, le cheval tombera dans le ramener.
Mon cher Michel, les pages précieuses et rares que la Guérinière a écrit sur l’équitation sont plus actuelles que les milliers de pages écrites postérieurement que les Raabes, Fillis, Saint Phalle, Salins et tous les autres.
Baucher n’est pas éloigné de l’esprit de la Guérinière. S’il a voulu à tout prix écrire une méthode tout à fait différente, en réalité il cherchait à atteindre la légèreté de la Guérinière.
C’est dans ces deux grands maîtres qu’il faut trouver les conseils profitables à l’Art. « C’est la légèreté qui donne à la fois à la Haute Équitation son véritable cachet et au cavalier qui la pratique le vrai caractère de son talent. »
C’est seulement en travaillant dans la légèreté que l’on est véritablement dans l’art équestre, le reste c’est le massacre des innocents.
Ne t’éloigne pas de ce principe, continue à travailler dans la légèreté et tu parviendras à une fin qui est la marque de l’équitation française.
Le cheval fait le beau quand il se plaît dans ses airs, s’il se plaît, c’est qu’il n’est pas contracté et se déplace en souplesse.
Il est inutile de discuter avec ceux qui ne comprennent pas l’équitation, de simples contacts sur la demi-tension des rênes. C’est stérile.
Le cheval qui a les rênes, le dos, et les jarrets assouplis et rassemblés. Les rênes peuvent être ajustées avec un contact résultant de leur seul poids. La croupe doit pousser de telle façon que la bouche du cheval doit prendre contact avec les rênes.
Il est indifférent que les rênes soient plus ou moins relâchées du moment que le cheval maintient le contact sans peser. L’appui ne doit pas exister. Le cheval est en équilibre lorsqu’il ne fait pas de résistances, de poids ou de force. Son dos est souple et le rassembler écarte tout contraction.
Le problème des mâchoires mobiles ou inertes est un faux problème, cela dépend des natures des chevaux. Seul compte l’absence de résistances.
Je suis enchanté que tu sois content de la présentation de ton cheval Andaluz. C’est la récompense de ton travail avec lui. Continue, tu arriveras à de très bons dressages.
J’ai reçu, ces jours-ci des cavaliers du jumping international. Le capitaine D. a beaucoup apprécié ma méthode et m’a dit qu’il aimerait un cheval d’obstacle de premier ordre dressé par moi ! Il a monté plusieurs de mes chevaux, Fernado Andrade est venu avec eux pour leur donner une leçon ( !). l’un d’entre eux m’a demandé à monter Thalar, je n’ai pas pu refuser, ils l’ont trouvé formidable, mais je t’assure, mon cher Michel, que j’ai été malheureux que je n’ai pas pu déjeuner.
Je constate que très peu de gens sont suffisamment sensibles pour monter des chevaux fins et qu’ils ne cherchent même pas à comprendre, ni à sentir. Ils sont incapables de se sentir sur le dos du cheval.
D. dit que je devrais enseigner l’équitation française. Équitation française ou chinoise, la haute équitation ne sera jamais pratiquée que par une demi douzaine de types au monde.
On peut gagner de grandes épreuves de dressage, d’obstacles et devenir champion, mais monter avec le frôlement de la jambe, les fesses étalées dans la selle, la main fixe et légère, c’est très rare à voir.
J’ai donné une leçon d’épaule en dedans à D. qui croyait savoir la pratiquer. Il a compris à la fin de la leçon. Demain on va voir ce qu’il a compris. Comme cavalier d’obstacle, il est formidable, il sauté sur Zaïre à merveille, comme cavalier de dressage il est zéro, mais c’est un homme ouvert qui veut apprendre. Fernado l’a trouvé très bien, mais je t’assure, mon cher Michel, que j’ai souffert. C’est la dernière fois que quelqu’un monte Thalar ou un de mes chevaux personnels, en tout cas ceux qui ne travaillent pas avec moi depuis longtemps.
J’ai, maintenant, envie de monter tranquillement, seul. Excuse-moi pour toutes ces sottises ! Tous les cavaliers sont convaincus qu’ils sont les meilleurs. Seul celui qui veut pratiquer l’art pur et qui aime et comprend son cheval sait que celui-ci ne le flatte jamais et lui indique immédiatement ses moindres fautes.
Plutarque avait raison de dire « l’équitation est ce qu’un jeune prince apprend le mieux, parce que son cheval ne flatte jamais. »
En équitation ce qui intéresse, ce sont les résultats que perçoit le dresseur et non ceux qui frappent la foule.
Moi-même, cher Michel, combien de fois je descends de cheval avec une grande tristesse et me sens très malheureux. C’est par ce mélange de souffrance et de bonheur que l’équitation est un art passionnant.