Clara, cavalière et handicapée | Marie Nouvian

Cet article a été rédigé par Marie Nouvian, diplômée du BPJEPS mention équitation et du DEES Diplome d’Etat d’Educateur Spécialisé. En 2014, elle ouvre l’Ecurie de La Guérinière dans la région niçoise, la structure a pour but l’enseignement de l’Equitation Classique Française, et l’accueil éducatif sur des séances de médiation équine pour les publics en difficulté type handicap.

Clara est une jeune fille, présentant des troubles mentaux et des difficultés motrices. Je la rencontre pour la première fois en 2013. Clara ne parle pas, ne me regarde pas, cherche le contact avec sa mère en continue. Je lui présente Nel, grande jument SF, massive et sportive. Elle ne la touche pas, ne la brosse pas.

Bon, sans contact avec la demoiselle ni moyen de communication, je la mets tout simplement à cheval, et je la fais marcher en tenant la jument en main pendant une petite heure. Nel se laisse balader, Clara regarde ailleurs, un peu dans le vide. Clara monte à cru afin de ne pas être gênée par une selle non adaptée à sa morphologie et motricité. Le fait de monter à cru permet aussi un meilleur contact avec l’animal et un meilleur fonctionnement du bassin.

Delphine, sa mère, se montre ravie de voir sa fille calme. Heureusement alors, que j’ai le retour de sa mère pour me confirmer que la séance est bénéfique, car il est difficile d’y voir un changement ou un intérêt pour Clara.

Je décide de laisse la place à la création de lien entre Nel et Clara, et je me fais presque invisible lors des séances de travail. Le lien entre les deux a commencé à se créer. J’en ai eu la preuve quand j’ai essayé de monté avec Clara, derrière elle, afin de voir si je pouvais entrer en contact avec elle d’une autre manière. Nel a catégoriquement refuser, levant les postérieurs à chaque essai de ma part de vouloir monter derrière Clara, mais sans mettre en danger l’équilibre ni la place de la cavalière sur son dos. Ce qui l’a fait beaucoup rire, une première !

Je précise que Nel est habituée au travail avec des enfants handicapés, et m’a laissé plusieurs fois monter avec un enfant sans aucune défense de sa part. Je finis par les laisser marcher ensemble, dans un rond de longe, seules. Nel baladant Clara tranquillement.

Les séances se suivent, une fois par semaine, plusieurs semaines, sans que je ne puisse observer la moindre réaction significative de Clara.

Petit à petit, Clara me regarde, se met à rigoler si Nel bouge un peu différemment, regarde Nel quand je l’amène et la prépare. Clara commence à entrer en relation avec moi. Elle me regarde et me sourie, émet des sons pour attirer mon attention. Nous commençons alors à communiquer ensemble par des signes et gestes sur conseil de sa mère. Pour « marcher » Clara mime avec ses doigts sur la paume de sa main par exemple. Petit à petit nous arrivons à nous comprendre, je demande à Clara ce qu’elle souhaite, et elle me répond. Nous arrivons aussi à nous dire oui ou non. Clara finit par accepter entièrement la relation avec moi. Elle se moque même en rigolant si je trébuche ou si Nel me pousse de la tête.
Tranquillement, nous avançons pas à pas.

marie2

Plus le temps passe, plus Clara progresse et développe son intérêt pour l’environnement du cheval. A chaque fois que je prépare Nel, je lui mets du foin à l’attache. Clara, à force d’observation, finit par avoir envie de donner du foin à Nel. Au début, elle prend du foin en main mais n’ose pas approcher la jument. Au bout de quelques temps, Clara s’assoit dans le foin, et donne à manger à Nel, poignée par poignée. Elle a même accepté de brosser pendant un moment, mais donner du foin est bien plus intéressant !
marie6

Au bout d’un an et demi, nous communiquons, Clara à cheval marche, trotte, recule et tourne, nourris et caresse sa jument.

Je fais alors varier les montures. Elle s’adapte à chaque fois, riant des particularités de chacun, comme Djiguit qui fait le pas espagnol. A force d’observation, elle a finit par comprendre le mécanisme et lui demande elle-même, à cheval, avec un stick. Djiguit tolère volontiers les coups de stick brusques et trop forts de Clara.

Quilt avec son dos très rond et très large oblige Clara à apprendre à s’équilibrer pour ne pas glisser et à se remettre en place si elle glisse, en prenant appuie avec ses mains sur le garrot. Toujours à cru…
marie1

Pleine d’espoir sa mère et moi, nous attaquons un niveau au dessus et tentons de faire comprendre à Clara comment tenir ses rênes et être autonome. Après quelques séances, Clara tiens ses rênes, et commence à comprendre qu’elles peuvent lui permettre de demander directement à Nel ce qu’elle souhaite, sans passer par moi. Pour y arriver, nous sommes passés par un autre moyen : l’observation. Clara a observé une autre cavalière qui montait en même temps qu’elle et a souhaiter reproduire la même chose.

Cela fait maintenant 3 ans que Clara et moi travaillons ensemble avec Nel et sa mère. Clara est autonome à cheval, elle tient ses rênes, dirige, demande le pas, le trot avec un coup de talon léger, recul, se tiens naturellement plus droite et à amélioré sa marche et son maintien général du corps. Tous ces exercices sont réalisés à cru.
Clara ne peux qu’utiliser le coup de talon pour exprimer sa demander à Nel. Sa motricité et son niveau de compréhension ne lui permettent pas d’utiliser la simple et légère pression de mollet. Ce qui intéressant, c’est de constater que là aussi, Nel a su s’adapter. En temps normal Nel réagirait très violemment à un coup de talon, mais là elle répond en douceur et en calme.
marie5

A la maison, Clara amuse sa mère en ramassant autant d’herbe que possible toute la semaine en prévision de sa visite hebdomadaire à Nel.

Tout ce travail est possible uniquement grâce à deux choses : une jument bien dans sa tête et son corps grâce a des soins, une alimentation adaptée au plus proche de sa condition naturelle et de ses besoins et un dressage via l’Equitation Classique. Car, Nel est loin d’être une jument de loisir, calme et sans difficulté.
La création de lien entre Clara et Nel n’a été possible que parce que Nel se sent bien et libre de s’exprimer.

L’Equitation Classique Française m’a permis de dresser Nel de façon si fine qu’elle sent et est capable de réagir aux moindres demandes physiques de Clara, si discrètes soit elles, ou à l’inverse, de rester calmer si les demandes sont démesurément trop fortes à cause des difficultés motrices de sa cavalière.
Nel, comme Quilt et Djiguit, tolère largement les erreurs d’équilibre de Clara et réadapte son attitude ou son allure en fonction. Chose qu’elle n’accepterait pas avec un autre cavalier. En effet, la création de lien entre un animal et une personne handicapée est plus simple qu’avec un cavalier « standard ». Encore faut-il que le cheval soit suffisamment serein et bien dans son corps pour être capable d’analyser, de comprendre et d’agir en conséquence.
Clara arrive maintenant à comprendre de petits exercices simples comme passer dans un couloir de barres au sol. Elle se plait aussi beaucoup à faire courir Nel en liberté, la suivant toniquement avec un stick. Nel se prend toujours au jeu ! Elle commence par se rouler, ce qui fait beaucoup rire Clara, puis il suffit que Clara se dirige vers elle avec entrain pour qu’elle parte plein galop, la queue en panache.

Aujourd’hui, nous continuons, Nel et moi, avec l’aide de sa mère, a enseigner l’Equitation Classique à Clara. Nous rirons souvent en nous projetant dans le futur, imaginant Clara sur les terrains de concours. Nous rions aujourd’hui, mais peut être que demain serons nous stressées en attendant l’entrée de Clara en piste…

marie4